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Le jardin du paradis post

در مسیر آموزش زبان فرانسه، قابلیت درک شفاهی زبان فرانسوی یا (compréhension orale)  یکی از مهمترین مواردی است که زبان آموزان زبان فرانسوی، می بایست بر روی آن کار کنند.

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Le jardin du paradis

 Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, un fils de roi qui possédait beaucoup plus de beaux livres que qui que ce soit au monde. Il avait appris en lisant tout ce qui avait jamais pu se passer autrefois, et les magnifiques tableaux qu’il possédait le lui retraçaient tous les jours, de sorte qu’on pouvait dire que cela se passait sans cesse encore une fois pour lui. Il lui avait été fort aisé de s’instruire sur les diverses contrées de la terre et aussi sur les nations qui les habitent. Mais où était situé le jardin du paradis ? Voilà, hélas ! une question au sujet de laquelle pas le moindre mot ne se trouvait écrit dans ses livres. Or, ce lieu inconnu de bonheur, cette terre promise qu’il espérait tant voir quelque jour, était précisément ce à quoi il pensait le plus et ce qu’il désirait le plus ardemment. Quand il n’était encore qu’un tout petit enfant, alors précisément qu’il était allé pour la première fois à l’école, sa grand-mère lui avait bien souvent parlé de ce grand et beau jardin du paradis ; et depuis, elle lui avait maintes fois dit que chaque fleur de ce jardin était bien le plus excellent gâteau qu’il pût imaginer, comme aussi la petite poussière qui se trouvait dans ces fleurs le vin le plus délicieux. Elle ajoutait que sur telle fleur on voyait écrite l’histoire tout entière, sur telle autre la géographie ou bien encore la table de multiplication : bref, disait-elle, il n’aurait qu’à manger de ces gâteaux (en les choisissant, bien entendu, de grandeur convenable) pour savoir toutes ses leçons par cœur ; et plus il en mangerait, plus il apprendrait d’histoire, de géographie et d’arithmétique. Et alors il croyait tout cela ; mais lorsque avec les années il devint plus vieux, lorsqu’il apprit davantage et devint plus savant, il comprit fort bien qu’il devait y avoir dans le jardin du paradis des choses glorieuses d’un tout autre genre. « Oh ! disait-il en soupirant, pourquoi Ève cueillit-elle à l’arbre de science le fruit défendu, et pourquoi Adam y goûta-t-il ? J’aurais voulu être à sa place ; certes alors ce ne serait pas arrivé, et le péché ne se serait pas si audacieusement glissé ici-bas. » C’était ce qu’il se disait déjà dans ce temps-là, et il se le disait encore maintenant qu’il était arrivé à l’âge de soixante-dix ans. Le jardin du paradis, tel avait été, tel était encore le but de toutes ses pensées, l’objet de tous ses rêves. Un jour il errait au hasard dans la forêt et se promenait tout seul, car c’était là son plus grand plaisir. Le soir, avec son mystérieux crépuscule, l’y surprit : bientôt les nuages s’amoncelèrent les uns sur les autres comme des montagnes. Survinrent des torrents de pluie. On eût dit que le ciel tout entier n’était qu’une grande écluse donnant issue à une immense et continue cataracte. Il faisait aussi sombre que, en pleine nuit, au fond du puits le plus profond. Tantôt son pied glissait sur l’herbe mouillée, tantôt il se heurtait contre les pierres aiguës qui rendaient la marche si pénible sur ce sol hérissé de rochers. Tout ruisselait d’eau, et le pauvre prince n’avait plus sur lui la moindre partie de vêtement qui ne fût complètement trempée. Il lui fallait grimper du mieux qu’il pouvait après d’immenses quartiers de roche, tandis que de la mousse toute  détrempée rejaillissaient sur lui, quand il baissait sa tête, des flaques d’eau. Il se sentait si affaibli qu’il allait défaillir, quand tout à coup il entendit un étrange bruit semblable à un sifflement, et il aperçut alors devant lui une grande caverne vivement éclairée. Au centre brûlait un feu si immense qu’on eût pu y rôtir un cerf tout entier ; or c’est précisément ce qu’on y faisait à ce moment. Le plus magnifique cerf qu’on ait jamais vu, avec une paire d’andouillers de toute beauté, était en effet attaché à une broche longue de plusieurs mètres et fixée entre deux pins qui avaient été coupés tout près de la racine ; et le rôt tournait rapidement devant l’âtre. Une vieille femme, si grande, si vigoureuse, qu’on eût plutôt dit un homme déguisé, était assise tout près de là, activant sans cesse le feu en y jetant bûches sur bûches. « Approchez, lui cria-t-elle après lui avoir dit bonjour, asseyez-vous là, à côté de moi, près du feu, et séchez vos vêtements. » « Mais il y a ici un terrible courant d’air », dit le prince d’un air tout chagrin, et il étendit à terre  ses membres fatigués. « Ce sera bien pis quand mes fils seront de retour chez nous, reprit la femme. Vous êtes ici dans la caverne des Vents, car mes bons fils sont les quatre Vents cardinaux. Comprenez-vous ?» « Où sont vos fils ? » dit le prince. « Il n’est, ma foi, pas trop facile de répondre quand on vous fait à l’aventure de si folles questions, répliqua sèchement la vieille. Mes fils ont eu bonne chasse aujourd’hui. Ils sont à jouer au ballon avec les nuages dans cette grande pièce là-haut. » Et en parlant de la sorte, elle lui montrait d’un air significatif l’atmosphère où les ondes et les vents déchaînés se combattaient avec fureur. « Effectivement ! dit le prince. Mais il me semble que vous parlez un peu rudement, du moins pas tout à fait aussi doucement que les dames avec lesquelles je vis d’habitude. » « Oui-dà, répliqua la vieille femme, et je ne crains pas de dire qu’elles n’ont pas autre chose à faire. Quant à moi, il faut que je sois ferme  comme un roc, si je veux me faire obéir par mes impétueux enfants. J’y réussis cependant, quelque rétifs, quelque capricieux qu’ils soient. Voyez-vous ces grands sacs qui pendent à la muraille ? Mes fils en ont tout autant peur que vous, autrefois, de la verge placée derrière la glace de la cheminée. Et de fait je ne permets pas à ces bruyants drôles de jeter le grappin sur moi. Quand ils font trop de bruit et de vacarme, je vous les empoigne, je vous les entortille autour de mon doigt et je vous les campe sans plus de façons dans ces sacs. Ils y restent étroitement enfermés et n’en sortent pour recommencer à faire du vacarme que lorsqu’il plaît à leur mère de les laisser partir. Mais tenez, voici l’un d’eux qui nous arrive. » C’était le Vent du Nord ; il entra dans la caverne, suivi d’un froid glacial. De gros grains de grêle bondissaient à la ronde à chaque pas qu’il faisait, et sautillaient après lui sur le sol inégal, tandis que des flocons de neige tombaient tout à l’entour en tourbillonnant. Il portait un justaucorps et des hauts de chausses en peau d’ours. Son bonnet, fait avec la peau d’un chien  marin, retombait sur ses oreilles. De longs glaçons pendaient à sa barbe tout en désordre. « Ne vous approchez pas tout de suite du feu, lui dit le prince en manière d’avis, sans cela le froid pourrait aisément saisir vos mains et votre visage. » « Le froid ! reprit le Vent du Nord en éclatant de rire ; le froid ! mais c’est précisément le plus grand régal que vous puissiez m’offrir ! Quel imbécile d’homme êtes-vous donc ? Mais ah ! çà, misérable nain, comment vous y êtes-vous pris pour pénétrer dans notre caverne ? » « Il est mon hôte, interrompit la vieille, et si ce n’est pas assez vous en dire, gare au sac ! Vous savez ce que je veux, j’espère ? » Ces paroles produisirent de l’effet ; et le Vent du Nord, changeant de conversation, se mit alors à leur raconter quelle route il avait suivie en dernier lieu et où il était resté pendant le mois presque tout entier. « J’arrive de la mer polaire, dit-il. J’ai été à l’île des Ours avec des Russes qui faisaient dans  ces parages la chasse aux morses. J’étais tout endormi au gouvernail quand ils doublèrent le cap Nord ; et lorsque de temps à autre je me réveillais de mon mol assoupissement, l’oiseau de la tempête s’en venait effrontément voltiger autour de mes jambes. Le drôle d’oiseau que cela fait ! Il donne un coup rapide avec ses ailes, puis les tenant tranquillement étendues il s’élève dans les airs comme s’il n’en avait pas besoin. » « Pas tant de paroles ! interrompit brusquement la gigantesque mère des Vents. Ainsi donc vous arrivâtes tous sains et saufs à l’île des Ours ? » « Oui, comme vous le dites. Oh ! le délicieux pays que cela fait ! on dirait un parquet aussi uni qu’une assiette. Des plaines de neige à moitié fondue, parsemées çà et là d’amas de mousse, de pierres aiguës et de toutes sortes de carcasses de morses et d’ours blancs, étendues sur le sol par longues rangées ! Vous diriez les membres de nombreux guerriers morts sur quelque vaste champ de bataille, et je croirais volontiers que jamais les rayons du soleil ne les éclairèrent. Du coin de ma bouche je lançai une petite bouffée au brouillard afin de pouvoir examiner à mon aise une grande hutte qui s’élevait appuyée sur des colonnades innombrables et sans fin. C’était une maison construite avec les fragments bigarrés de divers naufrages solidement attachés les uns aux autres, et recouverte avec des peaux de morses, de telle façon qu’on y était parfaitement à l’abri et contre l’air et contre l’eau. Le côté de ces peaux qui touche à la chair était tourné extérieurement, de sorte que les murailles présentaient une brillante marqueterie de rouge, de vert et de bleu. Au sommet de la coupole on voyait assis insolemment un ours qui se tenait là tout grognant. Je me hâtai de gagner le rivage, jetant en passant un coup d’œil sur les nombreux nids d’oiseaux de la tempête qui s’y trouvent, ainsi que sur les oisillons sans plume qui venaient précisément de briser leurs œufs. Puis, quand ils se prirent à gazouiller, en ouvrant leurs vastes becs, je lâchai tout à coup une bonne bouffée sur ces milliers de gosiers criards, et cela leur apprit à tenir la bouche close. Pendant ce temps-là les morses se jouaient tout au fond des impénétrables abîmes de la mer, semblables, avec leurs têtes de porc et leurs dents d’albâtre, à de monstrueux serpents. » « Vous racontez fort bien, mon garçon, dit sa mère en lui souriant avec satisfaction ; vous me faites venir l’eau à la bouche d’envie d’ouïr la fin de votre histoire. » « Alors nous nous mîmes gaiement à la besogne. Le harpon pénétra droit dans la poitrine du morse, et aussitôt un sang épais et noirâtre en jaillit sur la glace comme une fontaine. C’est maintenant, me dis-je, que je vais m’amuser ! et je me mis aussitôt à jouer quelques-uns de mes morceaux de choix. Je leur sifflai mes airs de bravoure les plus nouveaux ; je fis avancer et heurter l’un contre l’autre mes plus fins voiliers, de hautes montagnes de glace semblables à des rochers de cristal, qui vous étreignirent les barques de mes chasseurs, comme ferait d’une fragile coquille de noix un casse-noisette en fer. Oh ! les vagissements et les sifflements que cela faisait ! Mais avec mes chants aigres et perçants j’étouffai tout ce bruit. Mes chasseurs durent  alors débarrasser successivement leur navire de la dépouille des morses, de leurs tonneaux, de leurs caisses, de sa voilure et même de sa mâture. Enfin, quand ils eurent restitué à la mer le butin qu’ils lui avaient enlevé, je les chassai à la dérive vers le sud dans leur navire tout brisé, puis les fis sombrer, afin qu’ils sussent quel est le goût de l’eau salée… Je suis bien certain que de longtemps l’envie ne leur reprendra pas de revenir à l’île des Ours ! « En cela, vous avez eu tort », dit la mère des Vents d’un air maussade. « Je laisse à d’autres le soin de raconter le bien que j’ai pu faire… Mais voici mon brave petit frère le Vent d’Ouest qui nous arrive. C’est lui que j’aime le mieux de tous. Il vous a toujours une senteur marine tout à fait rafraîchissante, et son souffle répand à la ronde un froid délicieux. » « Est-ce le petit Zéphyr ?» dit le prince. « Oui, certes, c’est Zéphyr, répondit l’aîné des frères, sauf que ce n’est plus le petit gaillard tout chétif que vous croyez. Aux vieux jours de la Fable, c’était un enfant admirablement beau, mais ce bon temps est à jamais passé. » Le gigantesque petit gaillard avait tout l’air d’un homme sauvage des bois. Cependant il avait encore son bourrelet autour de la tête, afin de ne pas se faire de mal en tombant. Il tenait à la main un gourdin de bois d’acajou coupé dans les vieilles forêts de l’Amérique. « D’où venez-vous donc ? » lui demanda sa mère. « Des romantiques déserts tout couverts de bois, répondit-il, où les ronces épineuses tissent d’arbre en arbre d’impénétrables palissades, où le serpent aquatique sommeille dans les herbes humides avec sa couvée empoisonnée, et où l’homme semble être l’œuvre la plus superflue sortie des mains de la nature.» « Qu’y faisiez-vous ? » « Oh ! je surveillais d’un œil inquiet la profonde rivière. Je voyais comment elle roulait de roc en roc, puis se changeait en fine poussière et s’en allait gagner les nuages pour former l’arcen-ciel dans les airs. Je voyais l’indomptable buffle nager dans le torrent. Il s’en allait à la dérive avec une bande d’oiseaux sauvages qui s’élevaient pesamment sur leurs ailes, dès que l’écume de la cataracte les atteignait. Mais il fallait que le buffle pérît au fond des eaux : c’est là du moins ce qu’il plut à ma sagesse de penser. Je me mis alors à souffler un si gentil petit ouragan qu’on vit quelque temps après des arbres aussi vieux que le monde, comme s’ils eussent tout à coup été saisis de vertige, se briser avec fracas, puis flotter à la surface des eaux devenues furieuses. » « Et n’avez-vous rien fait de plus ? » demanda la vieille femme. « J’ai tout bouleversé dans les savanes, caressé le cheval sauvage sur son cou et embrouillé sa crinière ; puis, je me suis mis à faire une partie avec les singes et à abattre des noix de coco à qui mieux mieux. Oh ! j’ai de belles choses à vous raconter, mais il ne faut pas vider sa besace d’un seul coup, ni se mettre à jaser aux autres tout ce qu’on sait. C’est bon pour vous cela, la mère ! » Et en parlant de la sorte, il embrassa sa mère avec tant de force, qu’elle faillit tomber de sa chaise à la renverse. Le fait est que dans toutes ses actions, c’était un petit gaillard aussi brusque qu’impétueux. En ce moment le Vent du Sud, couvert du manteau long et flottant d’un Bédouin, entra à son tour dans la caverne. « Il ne fait pas mal froid ici ! » dit-il, et en même temps il jeta de nouvelles bûches au feu. On s’aperçoit aisément que le Vent du Nord est arrivé avant moi. » « Comment ! il fait ici une chaleur à rôtir un ours blanc. » « Ours blanc vous-même ! » reprit d’un ton impertinent son frère le Vent du Sud. « Ah çà ! est-ce que vous auriez envie par hasard d’être fourré dans le sac ?» demanda la vieille. Asseyez-vous là sur cette pierre, et racontez-moi gentiment ce que vous avez fait et où vous avez été depuis que je ne vous ai vu. » « En Afrique, chère mère ; j’ai été à la chasse aux lions avec les Hottentots dans le pays des Caffres. Si vous saviez la belle herbe qui pousse dans les marais de ces contrées-là ! Elle est aussi fraîche, aussi verte qu’une olive. J’y ai vu danser le goru, et l’autruche m’a défié à la course ; mais j’ai encore mieux joué des jambes qu’elle. Je m’en suis allé ensuite au désert où l’on n’aperçoit de toutes parts que du sable jaune et sale : on dirait le fond de la mer. J’y rencontrai une caravane. Ces gens-là tuaient en ce moment leur dernier chameau afin d’épargner l’eau nécessaire pour étancher leur soif, mais le peu qu’ils en eussent était bien amère. Le soleil dardait d’aplomb sur leurs têtes ses brûlants rayons, et on eût pu prendre le sable sur lequel ils marchaient pour de la cendre rouge. Point de bornes, point de limites à ce désert sans fin. La bonne partie que je fis avec ce sable si fin, si mince, que je m’amusai à soulever devant moi en immenses et épaisses colonnes ! Si vous aviez vu quelle danse cela faisait ! Comme vous auriez ri de voir les pauvres dromadaires s’arrêter frappés de terreur et tout tremblants, et les marchands donc ! de voir, comment bravant en vain la mort, ils cherchaient à abriter leur front brûlant sous leur cafetan. Ils se jetaient alors à mes pieds, comme devant leur Dieu Allah. Maintenant ils sont tous enterrés. J’ai eu cependant la générosité de construire sur eux une pyramide de sable en guise de sépulcre. Lorsqu’un jour ou un autre il m’arrivera encore de souffler de ce côté, le soleil pourra blanchir leurs squelettes décharnés ; de sorte qu’à ce signe l’homme reconnaîtra d’une manière indubitable que d’autres ont foulé ce sol avant lui. Sans cela il serait trop pénible en vérité pour lui de se croire tout à fait dans le désert ! » « Vous n’avez fait que du mal, lui dit alors sa mère ; allons, rentrez dans votre sac ! » Et avant que le Vent du Sud eût pu deviner ce qu’elle allait faire, elle l’avait saisi à bras-lecorps et l’avait renfermé dans sa prison élastique. Il essaya bien un instant de la faire rouler comme un ballon ; mais la vieille s’assit dessus, et force fut alors à messire le Vent du Sud de se tenir tranquille. « Vous avez là de joyeux enfants, madame », lui dit le prince. « Effectivement, répondit-elle, et je ne m’entends pas mal, comme vous voyez, à les gouverner. Mais voici mon quatrième qui nous arrive. » C’était le Vent d’Est habillé en Chinois. « Comment ! lui dit sa mère, vous nous revenez de votre coin favori ! Je pensais que vous aviez été au jardin du paradis. » « Non, répondit le Vent d’Est, je n’y vais que demain. J’arrive maintenant de la Chine où j’ai dansé un menuet autour de la Tour de porcelaine de manière à en faire de nouveau tinter toutes les cloches. En bas, dans la rue, les officiers de garde ont reçu leur ration accoutumée de coups de canne. Je ne saurais vous dire combien de livres de bambou ont été dans cette occasion usées sur leurs épaules ; et c’étaient tous gens du premier au neuvième rang ! Ils jetaient des cris perçants, jusqu’à en devenir tout enroués, et alors ils disaient : « Mille fois merci ! mon paternel correcteur et bienfaiteur. » Mais comme ils ne parlaient pas sincèrement, je recommençai à tinter et à mettre de plus belle en branle les cloches qui chantèrent tsing, tsang, tsu ! »  « Vous avez beaucoup trop bonne opinion de vous-même, mon fils, dit la vieille femme, coupant court aux gais propos du loquace jeune homme. Cependant c’est une bonne chose que vous alliez demain au jardin du paradis, peut-être cela vous servira-t-il à avoir un peu plus de sens commun que vous n’en avez à présent. » « Mais pourquoi, mère, avez-vous donc renfermé mon frère Sud dans son sac ? demanda le Vent d’Est. Laissez-le sortir, je vous en prie, il faut qu’il me dise quelque chose de l’oiseau phénix ; car la princesse qui est dans le jardin du paradis me demande toujours des nouvelles de cet oiseau, quand je viens tous les cent ans lui rendre ma visite. Ouvrez le sac et je vous donnerai les noms les plus tendres, les plus doux, plus deux poignées de thé frais et vert, tel que je l’ai cueilli aux lieux mêmes où il croît. » « Allons, eu égard au thé et aussi parce que vous êtes mon favori, je consens à ouvrir le sac. » Elle fit comme elle disait, el le Vent du Sud se glissa dehors. Mais il était tout penaud, car il savait que le prince étranger avait été témoin de  sa punition si bien méritée. « Voici une feuille de palmier pour la princesse, dit le Vent du Sud. Elle m’a été donnée par le vieux phénix, l’unique oiseau de sa race qui soit au monde ; il y a tracé avec son bec toute l’histoire de sa vie, le merveilleux récit de cent années dont la durée détermine chaque division dans l’épais livre de sa vie. Elle pourra maintenant la lire tant qu’elle voudra. J’ai vu le phénix mettre, à l’aide d’un verre grossissant exposé au soleil, le feu à son nid, s’y placer et y périr dans les flammes, comme font les veuves des guerriers hindous. Comme les branches sèches pétillaient ! quels parfums, quelles odeurs délicieuses elles répandaient ! Puis tout finit par une brillante flamme. Le vieux phénix n’était plus qu’une masse de cendres ; mais son œuf gisait tout rouge au milieu du foyer. Il s’entrouvrit avec fracas et un tout jeune oiseau en sortit qui est destiné à être le chef et le prince de toute la gent emplumée, et l’unique phénix qu’il y ait au monde. Il a percé un trou dans la feuille de palmier que je viens de vous donner : c’est son signe de salutation à la princesse. » « Prenons quelque chose pour apaiser nos estomacs affamés », dit la mère des Vents en l’interrompant brusquement. Ils se mirent alors tous à manger, et dans cette scène la pièce de venaison rôtie joua un grand rôle. Le prince avait été s’asseoir tout à côté du Vent d’Est, et ils étaient bien vite devenus bons amis. « Dites-moi donc, commença le prince, quelle est la princesse dont vous parlez tant ? Et où est le Jardin du Paradis ? » « Ah ! ah ! répondit le Vent d’Est en riant à gorge déployée. Si vous avez besoin d’y aller, envolez-vous demain avec moi ! Cependant je dois vous dire que personne n’y a été depuis le temps d’Adam et d’Ève, que vous connaissez bien, j’aime à le croire, pour en avoir entendu parler dans l’Écriture sainte.» « Oui, certes, reprit bien vite le prince qui aimait beaucoup à faire étalage de son savoir. « Il est vrai que lorsqu’ils en furent chassés, le Jardin du Paradis fut englouti dans la terre  assoupie. Cependant il n’en conserve pas moins son riant éclat, son air charmant, bref toute la plénitude de sa beauté. La reine des fées y demeure à présent ; c’est là aussi que se trouve l’île du Bonheur, où la mort n’a jamais posé ses pieds, et où il est si agréable de bâtir des maisons et des chaumières. Placez-vous demain sur mon dos ; je vous emmènerai avec moi ; m’est avis que nous voyagerons parfaitement ensemble. Mais maintenant, trêve à la causerie, car il faut que j’aille dormir. » Et ils s’en allèrent tous se coucher. Le prince se réveilla le lendemain matin de bonne heure, et il pensa à part lui que c’était assurément la chose la plus extraordinaire qui lui fût encore arrivée que de se trouver bien audessus des nuages. Il s’attachait toujours plus étroitement au dos du Vent d’Est, qui s’acquitta honorablement de sa mission, lui aida à se tenir droit et le défendit contre les griffes de Vertige, qui les suivait comme un mauvais démon, épiant la chance de quelque mouvement imprudent pour précipiter le hardi navigateur à travers  l’immensité. Ils étaient arrivés si haut dans les airs que les forêts et les champs, les rivières et les lacs leur semblaient aussi entremêlés et aussi rapprochés les uns des autres qu’ils nous paraissent l’être sur une grande carte peinte du monde. « Bonjour ! lui dit à voix basse le Vent d’Est, vous auriez bien pu dormir un peu plus longtemps ; dans ce pays plat qui s’étend audessous de nous, il n’y a rien qui puisse plaire aux yeux, à moins toutefois que la fantaisie ne vous prenne de compter les clochers. Les voilà, semblables à de petits points de craie sur le tapis vert (par tapis vert, il entendait les champs et les marais). » « Je crains, dit le prince, d’avoir été très grossier en quittant, comme je l’ai fait, madame votre mère et messieurs vos frères, sans leur dire adieu. » « Nous n’avons pas d’excuse à demander quand nous dormons », repartit le Vent d’Est. Ce disant, il reprit sa course avec plus de rapidité que jamais. On s’en apercevait, sur les  montagnes, au sommet des arbres, dont les branches et les feuilles bruissaient comme si les dents leur claquaient ; et pendant ce temps-là nos voyageurs continuaient au grandissime galop leur course à travers les airs. On aurait pu encore s’en apercevoir, en regardant la surface de la mer et celle des lacs ; car partout où ils passaient, les vagues s’élevaient plus haut, et les vastes navires, semblables à de magnifiques cygnes, s’inclinaient sur les eaux transparentes. Vers le soir, quand il se fit sombre, c’était en vérité un curieux spectacle à voir que les grandes villes. Les lumières y jaillissaient tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, comme font les feux follets. C’était absolument comme lorsque l’on a brûlé un morceau de papier, et que l’on suit les petites étincelles, qui en parcourent les débris, étincelles dont les enfants ont coutume de dire que ce sont des gens qui sortent de l’église. À cette vue le prince battit des mains de joie ; mais le Vent d’Est le pria civilement de ne pas se montrer si nigaud, de bien se tenir au contraire, sans quoi il pourrait lui arriver de tomber sur la pointe d’un clocher et d’y rester accroché comme  un papillon à l’épingle d’un collectionneur d’insectes. L’aigle volait rapidement à travers les ombreuses forêts, mais le Vent d’Est volait avec encore bien plus de rapidité. Le Cosaque sur son superbe coursier effleurait la plaine, semblable à l’éclair ; mais le prince était bien autrement prompt à le dépasser, car, avec la rapidité de la pensée, il s’avançait toujours et infatigable à cheval sur le dos du Vent. « Maintenant vous pouvez apercevoir d’ici l’Himalaya, lui dit le Vent d’Est ; c’est la chaîne de montagnes la plus élevée qu’il y ait en Asie, et nous ne tarderons pas à arriver au Jardin du Paradis. Ils se dirigèrent alors un peu plus au sud, et l’air ne tarda pas à leur paraître tout imprégné de l’odeur des fleurs et des épices. Les figuiers, les grenadiers croissaient d’eux-mêmes dans les champs, et la vigne étendait au-dessous ses riantes grappes de raisin blanc et noir. Ce fut là qu’ils descendirent ; et ils se couchèrent tout de leur long sur l’herbe où les fleurs faisaient de  petits signes d’amitié au Vent, comme pour lui dire : « Sois encore une fois le bienvenu ici. » « Sommes-nous maintenant dans le jardin du paradis ? » demanda le prince. « Pas encore, répondit le Vent d’Est ; mais nous ne tarderons pas à y arriver. Voyez-vous cette muraille de rochers où de gracieux pampres forment un riant rideau de verdure ? C’est par là que nous devons passer. Enveloppez-vous bien dans votre manteau, car, quoique le soleil nous brûle ici, au premier pas que nous y ferons, nous éprouverons un froid mortel. L’oiseau qui voltige à l’entrée de la caverne, a l’une de ses ailes dans l’air chaud de l’été, tandis que l’autre ressent encore tout le froid de l’hiver. » « Ah ! enfin, voilà donc le chemin du paradis ? » dit le prince d’un ton d’interrogation. Ils entrèrent à ce moment dans la caverne. Oh ! l’horrible froid qu’ils y ressentirent aussitôt ! Mais cela ne dura pas longtemps, car le Vent d’Est étendit ses ailes toutes grandes, et elles resplendirent comme une brillante flamme. Quels lieux affreux ils découvraient tout autour  d’eux ! D’immenses blocs de pierre, desquels l’eau coulait goutte à goutte avec une lugubre régularité, s’élevaient au-dessus de leurs têtes, semblables à des arceaux de la forme la plus étrange. Tantôt le sentier était si étroit et si bas qu’il leur fallait ramper sur leurs mains et sur leurs pieds ; et tantôt il était si large, si vaste, qu’on eût pu se croire en plein air. Il semblait qu’il n’y eût autour d’eux que des chapelles de cimetière, et de muettes rangées de tuyaux d’orgues ayant depuis longtemps cessé de pousser des sons. « M’est avis, dit le prince, que nous passons par le chemin de la mort pour arriver au jardin du paradis. » Mais le Vent d’Est, sans lui répondre un mot, le fit regarder droit en avant vers un point d’où la plus magnifique lumière bleue brillait sur eux. Les blocs de pierres disparurent les uns après les autres dans le brouillard qui finit par être aussi transparent qu’un nuage blanc au clair de la lune. L’air devint serein et doux, aussi rafraîchissant, aussi bienfaisant que sur les collines, aussi doucement parfumé que parmi les roses de la vallée. Ils arrivèrent alors à une rivière  aussi large que l’air, et fourmillant de poissons aussi brillants que l’or et l’argent. Des anguilles aux écailles pourpres et rouges se jouaient dans ses flots, répandant partout où elles passaient des étincelles bleuâtres ; et les larges feuilles du merveilleux lis d’eau offraient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. La fleur elle-même était une grande flamme vacillante qui recevait de l’élément aqueux une nourriture semblable à celle que l’huile donne à la lampe. Un pont en marbre d’une massive solidité, et cependant aussi délicatement travaillé que s’il était tout tissu de perles et de dentelles, conduisait à travers l’eau à l’île du bonheur où on apercevait le jardin du paradis, défendu par une épaisse muraille de fleurs. Le Vent d’Est prit le prince dans ses bras, et lui fit ainsi traverser le pont. Alors les fleurs et les oiseaux se mirent à lui chanter, avec des voix plus douces que les plus belles voix humaines, des chansons magnifiques dont son enfance était le sujet. Sont-ce de vrais palmiers, ou de gigantesques plantes aquatiques, pensa le prince, qui croissent ici ? Jamais auparavant il n’avait vu d’arbres si vigoureux, ni de branches s’élevant si haut dans les airs. II y avait aussi de bizarres plantes grimpantes qui s’entrelaçaient les unes dans les autres, pour former des guirlandes assez semblables à celles que nous voyons peintes en or et en brillantes couleurs sur les bons vieux livres d’église, ou encore aux arabesques qui s’y enroulent autour des premières lettres de chaque chapitre, formant un tout bizarre d’oiseaux, de fleurs et de guirlandes. On apercevait près de là dans l’herbe une troupe de paons étalant leurs brillantes queues. « Quant à ceux-ci, se dit le prince, ils ne peuvent pas être autres que ce qu’ils paraissent ! » Eh bien, point du tout ; quand il voulut les toucher, il reconnut que ce n’étaient pas des oiseaux, mais des plantes d’un genre particulier. Et de fait, c’étaient tout bonnement des herbes sauvages, lesquelles, dans ce délicieux jardin, sont mille fois plus magnifiques que ne peuvent l’être ailleurs les vraies fleurs, plus belles en vérité que les plus beaux paons lorsqu’ils étalent orgueilleusement leur large queue toute scintillante de bleu, d’or et d’émeraude. Le lion et le tigre sautaient par-dessus les haies verdoyantes aussi innocemment que de jeunes chats, et ils étaient aussi apprivoisés que le petit agneau avec lequel joue l’enfant ; et les haies exhalaient une odeur aussi douce que celle de la fleur de l’olivier. Le pigeon ramier, brillant comme la plus belle perle, rafraîchissait le lion avec ses ailes qu’il agitait au-dessus de lui en guise d’éventail ; et le roi des animaux, à son tour, secouait sa soyeuse crinière comme pour le remercier de son obligeance. Il n’y avait pas jusqu’aux antilopes elles-mêmes, d’ordinaire si froides, si réservées, qui ne se tinssent là toutes tranquilles, comme si elles eussent attendu pour prendre part, elles aussi, à la course. À ce moment, la fée du paradis s’approcha des nouveaux venus. Ses vêtements étincelaient à l’instar du soleil. Son visage avait l’expression de bonheur et de satisfaction qu’a celui d’une heureuse mère souriant à l’enfant qui sommeille dans ses bras. Elle était jeune et belle, et sa suite se composait de jeunes filles charmantes, ayant chacune une brillante étoile dans les cheveux. Le Vent d’Est lui remit la feuille de palmier sur laquelle le phénix avait écrit quelques mots de recommandation, et à cette vue les yeux de la fée brillèrent de joie. Elle prit le prince par la main et le conduisit vers un palais dont les murailles étaient colorées comme la plus belle tulipe. Les plafonds mêmes n’étaient qu’une grande fleur rayonnante, et plus l’œil la considérait, et plus le creux de sa coupe paraissait profond. Le prince s’arrêta devant une fenêtre, et jeta un regard de curiosité à travers l’un de ses mille vitraux. Il aperçut alors le célèbre arbre de science, avec le serpent vigilant, et Adam et Ève qui étaient tout à côté. « Mais n’ont-ils pas été chassés d’ici ? » demanda-t-il dans son innocence. La fée sourit et lui expliqua que le temps avait ainsi gravé leur image sur tous les vitraux, mais non pas de la manière dont ils y semblaient imprimés. C’était bien la vie réelle, comme sur la surface unie d’un miroir. Les feuilles des arbres s’agitaient ; l’homme et la femme allaient, venaient. Le prince regarda alors par un autre vitrail, et il y aperçut le songe de Jacob, son échelle qui touchait au ciel,  et les anges voltigeant de haut en bas avec leurs grandes ailes. En un mot, tout ce qui était arrivé dans le monde, revivait et se mouvait sur ces merveilleuses vitres. Le temps seul évidemment avait pu former des tableaux si achevés. Un sourire plein d’une enchanteresse amabilité apparut comme un rayon vermeil sur les traits de la fée, lorsqu’elle fit entrer son hôte dans un salon élevé, sans commencement ni fin, dont les murailles semblaient faites de portraits si clairs, si brillants qu’on pouvait voir à travers, et tous rivalisant de beauté les uns avec les autres. C’étaient ceux de millions d’êtres heureux qui souriaient et chantaient de façon que leurs voix se confondaient toutes en accords purs et mélodieux. La plupart ne paraissaient pas plus grands que le bouton de rose le plus délicat, qu’on a dessiné sur le papier comme un petit point brillant. Au milieu du salon s’élevait un arbre immense avec d’épaisses branches. Des pommes d’or, les unes grosses et les autres petites, pendaient sous ses verts rameaux. C’était l’arbre de la science, au fruit duquel Adam et Ève avaient goûté. Une rosée d’un rouge foncé  dégouttait de chaque feuille, et il sembla au jeune prince que l’arbre pleurait des larmes de sang. » « Plaçons-nous maintenant dans la barque, dit la fée ; nous nous rafraîchirons sur les eaux agitées. La barque flotte à jamais vers le point qu’elle a pu trouver par l’infaillible aimant de la vertu sans tache ; et c’est précisément ce qui fait qu’elle ne bouge jamais de l’endroit où elle se trouve en ce moment. Et c’était vraiment chose étonnante à voir comment tout le rivage entrait graduellement en mouvement et comment tout ce qui s’y trouvait se mettait tout à coup en marche. Ici s’avançaient orgueilleusement les hautes montagnes toutes couvertes de neige et portant les nuages sur leurs sombres forêts de pins. Le cor sonnait ses notes graves et solennelles, et le berger chantait avec l’alouette en bas dans la vallée. Maintenant les vigoureux bananiers abaissaient sur la barque leurs branches entrelacées, comme s’ils eussent voulu l’embrasser ; tandis que des cygnes aussi noirs que des corbeaux sortaient de l’écume, et qu’on apercevait sur le rivage des animaux de la  forme la plus étrange et des fleurs des espèces les plus différentes. C’était la cinquième partie du monde, la Nouvelle-Hollande, qui passait successivement en revue devant eux, en leur offrant dans le lointain une vue magnifique des montagnes bleues. On entendait retentir les hymnes des prêtres païens, et on voyait les cannibales exécuter leurs danses aux mouvements impétueux, au son des tambours et des tambourins et aux rauques accents de la trompette d’os. Les pyramides d’Égypte, ces monuments qui sont les frères jumeaux des nuages, passèrent ensuite devant eux avec une multitude de colonnes et de sphinx à moitié enfouis dans le sable, offrant à leurs yeux étonnés un spectacle d’une variété continuelle. Les clartés du nord brillaient à leur droite et à leur gauche, dardant quelquefois à travers la voûte du ciel par delà la petite étoile du pôle. Où trouver quelqu’un capable d’imaginer et de composer un feu d’artifice pareil à celui-là ! Comme le prince se sentait heureux ! Notez au reste, qu’il apercevait cent fois plus de choses encore que nous ne pouvons vous en dire.  « Et pourrais-je toujours demeurer ici ? » demanda-t-il. « Cela dépend entièrement de vous, répondit la fée ; si vous ne cédez point à la tentation de faire ce qui est défendu, vous pourrez rester ici toujours. » « Oh ! assurément, ce n’est pas moi qui lèverai seulement le petit doigt de la main pour atteindre aux pommes de l’arbre de science ! s’écria bien vite le prince. Il y a mille autres fruits tout aussi beaux que ceux-là. » « Interrogez-vous vous-même, et si vous ne vous sentez pas assez fort, retournez-vous-en avec le Vent d’Est qui vous a amené ici. Il va s’en aller, et il ne reviendra pas ici avant cent ans. À la vérité, cet espace de temps ne vous paraîtra pas plus long que cent heures, mais c’est encore bien long pour qui doit combattre la tentation et le péché. Quand je vous quitterai ce soir, il faudra que je vous dise : suivez-moi, mon bien-aimé ; il faudra que je vous fasse des signes de la main ; mais souvenez-vous de rester là où vous vous trouverez. Ne venez pas avec moi, je vous en préviens, car, à chaque pas que vous ferez, votre désir deviendra de plus en plus violent. Vous vous empresserez de gagner le salon où croît l’arbre de science. Je dors sous ses luxurieux rameaux, et, semblables à des cloches, ils me bercent avec les sons de la plus délicieuse harmonie. Vous vous pencherez sur moi, et il me faudra sourire ; mais, si dans votre hardiesse, vous osez imprimer un baiser sur mes lèvres, votre paradis sera à jamais perdu pour vous dans les profondeurs de la terre. Le violent vent du désert tourbillonnera autour de vous ; la froide pluie s’échappera en torrents de vos cheveux : malheur, misère, désespoir, tel sera désormais votre lot. » « Je resterai ici », dit le prince d’un ton et d’un air bien résolus. Le Vent d’Est le baisa au front et lui dit tout bas à l’oreille : « Soyez courageux, et dans cent ans d’ici nous nous reverrons. Adieu, adieu ! » Et le Vent déploya ses puissantes ailes qui projetèrent tout à l’entour un radieux éclat semblable aux silencieux éclairs de l’automne ou encore aux lueurs boréales par les gelées d’un rude hiver. « Adieu ! adieu ! » dirent en chœur les arbres et les fleurs, jusqu’à ce que l’écho cessât de répéter ces mots. Des cigognes et des pélicans, formant une longue bande semblable à une grande flamme vacillante, l’escortèrent jusqu’aux limites du jardin. « Maintenant, dit la fée, nous commençons nos danses. Quand elles seront finies, juste au moment où le soleil se couchera, vous me verrez vous faire des signes, vous m’entendrez vous inviter à me suivre. Mais gardez-vous bien de le faire ; bouchez-vous plutôt les oreilles et fermez les yeux. Malheureusement, je recommencerai le même manège pendant cent ans ; mais aussi chaque soir de plus qui se sera écoulé, vous aurez acquis plus de fermeté de cœur, et à la fin vous n’y penserez plus du tout. C’est aujourd’hui que cela commence, et vous conviendrez tout au moins que je vous ai donné là des conseils d’amitié. » La fée le conduisit dans une salle immense toute remplie de lis d’une éclatante blancheur. Les filaments jaunes et cotonneux qui garnissaient l’intérieur du calice de chaque fleur, formaient une petite harpe d’or d’où s’exhalaient les tons les plus doux de la flûte. De charmantes jeunes filles aux vêtements flottants passaient à côté de lui en voltigeant dans les évolutions rapides de la danse ; et pendant ce temps-là, en proie à un poétique transport, elles célébraient dans leurs chants les plaisirs de l’existence, se réjouissant de ce qu’elles ne devaient jamais mourir, et de ce que le jardin du paradis fleurissait éternellement. Le soleil disparaissait peu à peu à l’ouest, et toute la voûte éthérée prenait une teinte d’or qui donnait aux lis le doux incarnat de la timide rose. Le prince buvait du vin pétillant que les aimables jeunes filles lui présentaient, et il éprouvait un bonheur dont il n’avait point encore eu l’idée. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’il aperçut tout à coup le fond de la salle qui s’éloignait, et l’arbre de science qui se trouvait devant lui dans toute son éblouissante splendeur. Dès lors les chants devinrent aussi doux, aussi attendrissants que la voix de sa mère, et semblèrent lui dire : « Mon enfant, mon cher enfant ! » Alors la fée lui fit signe de venir à elle, et elle lui dit d’une voix tendre : « Suivez-moi. » Aussitôt il se précipita vers elle comme un insensé, oubliant ainsi, dès le premier soir, tout ce qu’elle lui avait dit, et rompant ses vœux en un instant, rien que parce qu’elle lui avait souri et fait des signes. À ce moment les doux parfums exhalèrent autour de lui des senteurs plus vives, et il lui sembla que les millions de visages souriants qui se trouvaient dans le salon où croissait l’arbre de science, lui faisaient aussi de petits signes d’amitié et lui disaient : « Tout doit être su, l’homme est le maître de la terre ! » Et ce n’étaient plus des gouttes de sang qui tombaient des feuilles de l’arbre de science ; il lui sembla que c’étaient des étoiles du rouge le plus brillant. « Suivez-moi, suivez-moi, mon bien-aimé ! » répétait la charmante sirène : et à chaque pas qu’il faisait en avant, ses joues d’adolescent se couvraient d’une plus vive rougeur, et son sang circulait plus rapide dans ses veines. « Oui, j’irai ! s’écria-t-il en gémissant, j’irai ; certes il n’y a pas, il ne saurait y avoir de péché à cela. Pourquoi ne suivrais-je pas les traces de la beauté et du plaisir ? Je ne ferai que la contempler pendant son sommeil. Pourvu que je me garde bien de lui prendre un baiser, je ne puis y rien perdre. Or, après tout, il n’y a pas de danger que je le fasse, car je suis fort de cœur et ma volonté est ferme… » Et la fée rejeta au loin sa robe brillante, elle tira de côté avec grâce les rameaux de l’arbre, puis au même instant elle disparut à ses yeux. « Je n’ai point encore péché, se dit-il à luimême, et je ne le ferai certes pas non plus. » Et tout en se tenant à lui-même ces perfides discours, il écartait les rameaux de l’arbre ; alors il aperçut la fée déjà tout endormie, aimable et charmante comme pouvait l’être seulement la fée du jardin du paradis. Elle souriait dans ses rêves : il se pencha vers elle et vit que ses paupières étaient humides de larmes. « Est-ce à cause de moi que tu pleures ? lui dit-il à voix basse ; oh ! ne pleure pas ainsi, mon  incomparable. C’est à cette heure seulement que j’ai appris ce que c’est que le bonheur du paradis. » Il s’inclina davantage et baisa les larmes qui s’échappaient de ses yeux, puis ses lèvres se posèrent sur les siennes. À ce moment retentit un coup de tonnerre plus éclatant, plus terrible qu’il n’en avait encore jamais entendu. La brillante salle s’était écroulée tout en ruines ; le jardin fleuri avec sa charmante fée commença à s’évanouir peu à peu ; puis il tomba toujours de plus en plus bas, toujours de plus en plus profondément, jusqu’à ce que à la fin il s’évanouit, comme une toute petite étoile bien pâle, ou bien comme un petit ver luisant à l’agonie, dans l’espace infini. Le prince frissonnait de tous ses membres, et tremblait d’un froid mortel ; il ferma les yeux, et resta pendant quelque temps comme sans vie. La pluie froide battait son visage, le vent soufflait âprement au-dessus de sa tête ; enfin il reprit peu à peu conscience de lui-même. « Qu’ai-je fait ? dit-il alors en soupirant, ai-je péché, ai-je péché comme Adam, de sorte que  mon paradis soit à jamais évanoui et perdu ? » Il ouvrit alors les yeux et vit bien encore une étoile scintiller à l’horizon, une étoile brillant d’un éclat aussi vif qu’un paradis perdu, quoiqu’elle fût en partie ensevelie dans un voile de deuil ; mais c’était au ciel l’étoile du matin. Il se leva, reconnut qu’il était dans la forêt, tout près de la caverne des Vents ; et à côté de lui se trouvait la mère des Vents, l’air fort irrité et le menaçant du bras. « Comment, lui cria-t-elle, dès le premier soir ! si vous étiez mon fils, je vous assure qu’il vous faudrait à l’instant même et sans dire mot rentrer dans votre sac. » « Patience, bonne dame, c’est aussi ce qui ne manquera pas de lui arriver. Quand le temps en sera venu, ils seront tous mis dedans », dit une forme maigre et décharnée qui apparut en ce moment. C’était un vieillard avec une faux à la main et de grandes ailes comme une chauvesouris ; c’était la Mort. « On l’enfermera quelque jour dans un bon cercueil. Quant à présent, je me contenterai de lui imprimer une marque, puis je  l’enverrai un peu se promener à travers le monde où il pourra se repentir de ses péchés et devenir meilleur. Je ne manquerai certes pas de me trouver avec lui un jour ou un autre. Quand il s’y attendra le moins, je vous le placerai dans son cercueil, puis je le mettrai sur ma tête et je m’envolerai avec lui vers cette étoile. Là aussi fleurit le jardin du paradis ; et s’il est franc et bon, il lui sera donné un jour d’y entrer. Mais si ses pensées sont mauvaises et si son cœur adhère encore au péché, il retombera dans son cercueil bien plus bas que n’a jamais pu tomber le paradis. »

تهیه و تنظیم: الهام نورکیهانی              

 

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